- L’ascension des femmes dans le cinéma -

Métier : Cinéastes. Sexe : Féminin. Femmes cinéastes donc ! Selon les historiens du cinéma, elles occupent un quarantième des sièges de la réalisation, c’est-à-dire à peine cent-cinquante. Ils portent sur elles et leurs œuvres un jugement similaire : mineures, sauf exception. Qu’importe la qualité de leur contribution, elles sont toutes, plus ou moins, des contrebandières sur cette terre des hommes qui prohibe la création du/au féminin. Leurs œuvres sont frappées d’interdit, enrobées de silence ou accablées de mépris. Leurs lettres de noblesse pour le septième art sont déclarées apocryphes. Véritable toile de Pénélopes qu’elles tissent au grand jour, leurs films sont niés ou irrémédiablement endommagés par les critiques, les distributeurs, les producteurs. On trouve pourtant parmi ces femmes cinéastes l’auteure du premier film de fiction au monde, quelques pionnières chevronnées, et parfois une conceptrice d’un genre cinématographique nouveau, ou encore une expérimentaliste visionnaire. [01]

Dans son anthologie du cinéma des femmes, Thérèse Lamartine donne le ton : les metteurs en scène-femmes auront à en découdre avec un milieu qui ne veut pas d’elles. A la difficulté de mener une carrière s’ajoute également celle de la reconnaissance de leur travail artistique.

---------Misogynie de la profession
"…celle à laquelle on s’habitue presque à force d’y être soumise."
[02]
Les femmes qui s’intéressent à l’histoire du cinéma, Thérèse Lamartine, Denise Brahimi
[03], ou les féministes de Musidora [04] n’oublient jamais de rappeler l’oubli dont a souffert la première metteur en scène-femme : Alice Guy. Sténodactylographe pour le Comptoir Général de photographie en 1895, elle travaille pour Léon Gaumont quand celui-ci rachète cette société et lui donne le nom de "Société en commandite Léon Gaumont et Cie". Georges Sadoul écrit dans son Histoire générale du cinéma "la clientèle de Gaumont lui demandant des films mis en scène, celui-ci demanda à sa secrétaire, Mlle Alice Guy, de bien vouloir se charger de ce soin. On dressa un décor sous une véranda contre le mur d’un terrain vague attenant à l’atelier de la rue des Alouettes et c’est là que furent faites, au cours de 1899, les premières mises en scène de la maison Gaumont" [05]. Pour Alice Guy, il en va autrement : "Fille d’un éditeur, j’avais beaucoup lu, pas mal retenu. J’avais fait un peu de théâtre d’amateur, et pensais qu’on pouvait faire mieux. M’armant de courage, je proposai timidement à Gaumont d’écrire une ou deux saynètes et de les faire jouer par des amis […] Si on avait prévu le développement que prendrait l’affaire, je n’aurais jamais obtenu ce consentement".

Le poste de metteur en scène est en effet un poste de pouvoir, il s’agit de diriger une équipe, de créer un produit dont les enjeux financiers peuvent être considérables. Les femmes qui sont généralement écartées de ce type de responsabilités connaîtront encore plus d’obstacles quand le cinéma acquérra ses lettres de noblesse, à la fois pour intégrer la profession et y être reconnue en tant qu’auteure. Ainsi de véritables injustices entourent la carrière d’Alice Guy. La plus cruelle peut-être est l’attribution de ses films à d’autres cinéastes - hommes eux, comme à Louis Feuillade qui a été son assistant - par les historiens du cinéma qui (ré-)écrivent l’Histoire, une his-story
[06]. C’est seulement après sa mort, en 1968, que l’œuvre d’Alice Guy va être mieux étudiée et reconnue, par Francis Lacassin (Pour une contre-histoire du cinéma, Union générale d’édition, Paris, 1972), par la publication de ses mémoires grâce à Musidora (Autobiographie d’une pionnière du cinéma, 1873-1968, edition Denoël-Gonthier, Paris, 1976). Secrétaire, scénariste, réalisatrice, directrice de production… Alice Guy réalisera plus de quatre-cents films pour la maison Gaumont, allant de quelques minutes (La fée aux choux, 1896, première fiction) à la durée normale de longs-métrages (La vie du Christ, 1906), avant de partir aux Etats-Unis où elle fondera sa propre maison de production.

Cette pionnière, un modèle pour des femmes qui en manquent cruellement, meurt et est réhabilitée au moment même où de nombreuses femmes feront une véritable intrusion dans le mâle-cinéma, et commencera à changer les rapports de forces et les représentations. Dès lors, Charles Ford ne peut plus affirmer comme en 1972, "La liste est brève des réalisatrices de cinéma […] ce n’est pas parce que le métier serait masculin par essence, mais plutôt parce qu’il exige des personnes qui l’exercent une énergie de surmâles."
[07] ! Et au même moment, le mouvement féministe déconstruit cette idéologie patriarcale, dénonce l’exclusion des femmes de certains domaines réservés, ou leur masculinisation qui cherche à justifier leur présence. "Il n’y a rien d’étonnant à ce que le nombre des femmes cinéastes ait été si limité par rapport au nombre des hommes. Ce n’est que la manifestation dans le domaine du cinéma d’un fait général" [08].

---------Une vague de réalisatrices
Sur l’ensemble de la décennie soixante-dix, soixante-quatorze femmes réalisent cent-dix huit longs-métrages (en moyenne un film et demi par cinéaste) : un chiffre énorme comparé à la quasi-absence des femmes metteurs en scène en soixante-dix ans de cinéma. 1975 sera l’année culminante avec l’apparition de douze nouvelles réalisatrices (voir graphique p.10) ; les cinéastes qui réaliseront le plus grand nombre de films sont Marguerite Duras (onze films entre 1969 et 1979), Chantal Akerman [09] (cinq films), Yannick Bellon, Nelly Kaplan, Agnès Varda et Nadine Trintignant (quatre films chacune) ; elles sont également parmi les plus (re)connues.

Pour autant, si cette "irrésistible ascension des femmes cinéastes"
[10] est nouvelle et remarquée, leur proportion reste minime ; par exemple, pour l’ensemble de la décennie soixante-dix, on compte cinquante-trois nouvelles réalisatrices pour trois-cents-trente nouveaux réalisateurs, soit seize pour cents ; sur les effectifs globaux, il y a environ dix metteurs en scène-femmes pour quatre-vingt dix metteurs en scène-hommes… Il faut donc relativiser ce phénomène nouveau, car "si leur proportion s’est améliorée, ce ne sera en tout cas pas une "ascension" et encore moins la preuve de l'"emprise" des femmes sur le cinéma français. Qu’elles y impriment leur empreinte serait déjà pas si mal." [11]

Le cinéma féminin reste minoritaire mais désormais les réalisatrices ne font plus figure d’exception, et leurs noms se multiplient, s’ajoutant à celles qui avaient déjà difficilement réussi à laisser leur "empreinte", Alice Guy, Germaine Dulac, Jacqueline Audry, Agnès Varda…

- Des parcours hétérogènes -

Alice Guy secrétaire, Agnès Varda photographe, Marguerite Duras écrivaine, Yannick Bellon monteuse… Les metteurs en scènes françaises ont tendance à arriver au cinéma par des chemins de traverse. C’est que les discriminations à l’égard des femmes sont à l’œuvre aussi dans cette profession, à commencer par les circuits traditionnels, les écoles.

---------Des obstacles
Après la seconde guerre mondiale, le meilleur moyen de commencer une carrière cinématographique est d’entrer à l’IDHEC, l’Institut des Hautes Etudes Cinématographiques, plus tard remplacé par la FEMIS (Institut de Formation aux Métiers de l’Images et du Son). Le concours d’entrée est très sélectif et les places sont chères ; si l’école est ouverte en principe aux candidates, elle s’arrange pour les cantonner aux postes dits "féminins", comme le montage, le métier de script, le maquillage, le costume. Les aspects techniques, son, photographie, caméra, ainsi que la réalisation sont considérés comme des métiers masculins, et différents arguments sont donnés pour décourager les femmes d’entrer dans ces domaines réservés, comme le poids du matériel, les difficultés techniques ou les responsabilités. Bien que la Nouvelle Vague, en contestant le savoir-faire professionnel et le système de l’assistanat, ait permis de rendre moins rigide les équipes de tournage et de développer l’utilisation de matériels moins lourds et plus accessibles, les mentalités à l’égard des femmes évoluent peu et les vieux arguments persistent. La répartition traditionnelle des rôles masculins et féminins, sexiste sans qu’elle puisse être nommée comme telle, avant la contestation féministe des années soixante-dix, était acceptée de tous et de toutes. Ainsi les filles qui passent le concours d’entrée savent qu’elles ne seront pas admises dans la section réalisation, et vont dans la section montage, comme Danielle Jaeggi, qui aurait voulu s’inscrire en réalisation "mais le directeur de l’époque me l’a déconseillé"
[12]. En 1974, les femmes représentent quatre pour cent des étudiants de l’IDHEC.

Un autre moyen de devenir cinéaste est de faire ses armes auprès d’un metteur en scène reconnu ; là encore, peu de femmes se sont vues offrir cette opportunité.

Jusqu’à la fin des années 60, ces éléments découragent la majorité des femmes à devenir metteurs en scène. D’autre part, l’important apport financier nécessaire pour commencer à réaliser des films étant dissuasif, les femmes optent le plus souvent pour des films modestes et peu coûteux, comme le documentaire, qui sera la forme d’expression privilégiée des féministes dans ces années de contestation.

---------Une vague qui s’amplifie
Si pour Denise Brahimi, Mai 68 n’explique pas à lui tout seul l’accès soudain des femmes derrière les caméra, au moins la conjoncture politique féministe de l’époque a t-elle favorisé la visibilité des combats féminins dans tous les domaines, de la revendication des droits – à disposer de son corps – à la volonté de pénétrer les bastions masculins.

En effet, avant 1968, les femmes metteurs en scènes apparaissent de manière isolée mais leur nombre augmente et on commence à parler d’elles. On rencontre d’abord Agnès Varda, la plus connue. Née à Bruxelles en 1928, Agnès Varda est d’abord photographe, elle passe directement à la réalisation d’un long-métrage en 1954, La pointe courte, dont le style novateur marquera le début de la Nouvelle Vague ; ses films suivants, Cléo de 5 à 7, 1961, Le bonheur, 1965 confirment son savoir-faire et son talent. En 1964 sort un film qui, parce qu’il est réalisé par une femme et qu’il met en image un personnage de jeune fille loin des clichés, fait scandale, c’est La dérive, le premier des deux films de Paula Delsol. Née en 1923, Paula Delsol rencontre le milieu cinématographique grâce à son mari, chef opérateur, puis, passionnée, elle crée sa maison de production dans les années cinquante et réalise ses propres courts-métrages jusqu’à La dérive ; malgré le soutien de François Truffaut et de Jean-Luc Godard attentifs à cette cinéaste prometteuse, Paula Delsol ne renouvellera l’expérience que douze ans plus tard avec Ben et Bénédict. C’est à partir de 1966, année de La Musica, que commencera l’œuvre cinématographique de Marguerite Duras ; cette grande écrivaine, née en 1914, réalisera tout au long de la décennie soixante-dix une dizaine de films, dont India Song en 1975, le chef d’œuvre de sa carrière. En 1966 également sort le premier film de Nadine Trintignant, Mon amour, mon amour ; née en 1938, issue d’une famille de théâtre et de cinéma, elle est d’abord assistante monteuse dans les années 50, puis scripte, monteuse, avant de devenir metteur en scène.

1969 est une année importante car on retrouve sur les écrans les deuxièmes films de Duras et Trintignant, Détruire dit-elle et Le voleur de crime, et un premier film subversif, libertaire, dans l’air du temps de l’après mai 68, La fiancée du pirate. L’auteure, Nelly Kaplan, née en 1931 à Buenos Aires, bénéficie d’un apprentissage auprès d’Abel Gance dont elle est l’assistante avant de réaliser ses propres courts-métrages, consacrés à des peintres et des graveurs, dont Le regard Picasso obtient le Lion d’Or à Venise en 1967. Romancière également sous le pseudonyme de Belen, son recueil de contes surréalistes Le Réservoir des Sens en 1965 annonce la subversion érotique de La fiancée du pirate. En cette même année 1969, un court-métrage fait le tour des festivals : Saute ma ville est remarqué par son style autant que par la jeunesse de son auteure, Chantal Akerman. Cette bruxelloise, qui a passé trois mois à l’Insas, développe son univers personnel dans les années suivantes pour offrir à vingt-six ans un film dur et exigeant, Jeanne Dielman, 23 quai du Commerce, 1080 Bruxelles.

Varda, Duras, Trintignant, Kaplan… Françoise Audé les appelle les "partantes" [13] … elles seront rapidement rejointes par d’autres femmes, toutes issues de milieux et de cursus différents. D’abord par Yannick Bellon, née à Paris en 1924, issue d’une famille d’artistes reconnus, comme sa mère, Denise Bellon, photographe ou son oncle, Jacques Brunius, cinéaste, acteur, écrivain. Elle fait un court séjour à l’IDHEC en montage et apprend son métier en tant qu’assistante de Nicole Védres sur Paris 1900 en 1948. Elle passe tard à la réalisation d’un premier long métrage qui sort sur les écrans en 1972, Quelque part quelqu’un. La même année Nina Companeez réalise un premier film, Faustine et le bel été. Née à Paris en 1937, fille d’un scénariste reconnu, Jacques Companeez, elle entre dans la profession comme monteuse puis rencontrera Michel Deville avec lequel elle cosignera les scénarios de plusieurs films à succès, avant de réaliser ses propres films. Ainsi les films réalisés par des femmes se diversifient. En analysant leurs dates de naissances, on peut voir que la majorité des réalisatrices sont issues de la génération de l’entre deux guerres - sauf Duras - et qu’elles feront leur entrée dans le cinéma plus tard que les hommes de leur génération, ceux précisément qui ont nourri la Nouvelle Vague, Godard, Truffaut…

Quant aux réalisatrices qui arrivent à partir du milieu des années soixante-dix, elles sont plutôt nées après la deuxième guerre mondiale. Certaines sont passées par l’IDHEC, en montage (Claudine Guilmain, Danielle Jaeggi), et d’autres sont déjà reconnues, dans la profession elle-même, comme les comédiennes Diane Kurys, Coline Serreau, Christine Pascal, Jeanne Moreau, Anna Karina, dans les milieux littéraires comme Nicole de Buron ou Françoise Sagan, ou bien d’ailleurs, comme la styliste Michèle Rosier.

Devenir metteur en scène pour une femme est un choix risqué et difficile, de ce fait, il est souvent une deuxième activité.

- L’influence de mai 68 -

Mai 68 est une crise politique, une rupture dans la société française comme dans la culture française. Le vent contestataire qui souffle en France et éclate durant ce mois fait émerger des voix nouvelles : ceux qui n’avaient auparavant pas accès au discours, comme la classe ouvrière, les minorités ethniques, les femmes, prennent la parole. Ils et elles se regroupent, s’organisent en collectifs, impriment leurs colères sur pellicule, et s’emparent d’un outil tout nouveau, la vidéo. Un nombre incroyable de films tournent alors en France, totalement en dehors du système.

Les femmes metteurs en scène ont peu de connexions avec ce milieu parallèle et les nombreuses femmes qui y gravitent. Cependant certaines réalisatrices ont un parcours engagé : Marguerite Duras participe aux évènements de mai 68, soutient publiquement le mouvement féministe et signe le "Manifeste des 343"
[14] en 1971. Agnès Varda filme contre la guerre du Viêt-Nam et auprès des Black Panthers en 1968 et reconstitue dans L’une chante, l’autre pas, une fiction de 1976, le procès de Bobigny, un tournant dans la lutte des femmes pour l’avortement ; Coline Serreau réalise en 1975 un documentaire féministe dans des conditions précaires, Mais qu’est-ce qu’elles veulent ?, un film manifeste qui est montré dans des circuits parallèles avant de sortir en salles en 1977; Danielle Jaeggi est l’une des rares qui fait partie de collectifs vidéo et de l’agit-prop féministe et qui réalise un long-métrage, La fille de Prague avec un sac très lourd, en 1978. C’est en fait la comédienne, Delphine Seyrig, alors qu’elle est une star après des films comme L’année dernière à Marienbad d’Alain Resnais (1961) ou Baisers Volés de François Truffaut (1968) qui se montrera le plus aux côtés des féministes : elle signe le "Manifeste des 343", soutient Gisèle Halimi au procès de Bobigny, et en même temps qu’elle privilégie les propositions de metteurs en scène-femmes, de Marguerite Duras à Chantal Akerman ou Liliane de Kermadec, elle participe à des collectifs de vidéo, et réalise un film en 1978, Sois belle et tais-toi, où elle interroge des actrices célèbres sur le rapport à leur image, à leur corps, aux exigences du métier.

---------Mai 68, naissance du M.L.F
Si la sexualité est un des premiers thèmes de la contestation étudiante avant Mai, les critiques de la société de consommation et la lutte des classes occupent ensuite le devant de la scène. Les collectifs et les assemblées générales sont peu enclins à questionner les rapports hommes/femmes d’autant plus qu’à la fin des années soixante, le féminisme est victime d’un détournement de sens à travers la ridiculisation des luttes des suffragettes :

Le mot féministe est à coup sûr un des mots de la langue française le plus chargé d’anathème […]. Des combats féministes on ne garde que la caricature : la féministe ne peut être qu’une vieille dame, agressive et ridicule, le comble pour une femme […]. Le traumatisme de la suffragette aura été tel qu’aucun mouvement féminin n’ose s’avouer féministe et que toute femme, soucieuse de ne pas se discréditer aux yeux de son entourage, se défend vigoureusement d’être féministe quand elle est prise en flagrant délit de contestation (féministe). [15]

Quelques militantes affichent cependant le désir de réfléchir les problèmes des femmes de manière autonome par rapport aux luttes de classes :

Etudiant qui remets tout en question,
Les rapports de l’élève au maître,
As-tu pensé aussi à remettre en question
Les rapports de l’homme à la femme ?

Etudiante qui participe à la révolution,
Ne sois pas dupée une fois de plus,
Ne suis pas seulement les autres,
Définis tes propres revendications !
[16]

Ces voix féministes sont ensuite noyées dans un mouvement contestataire élargi – étudiants et ouvriers - qui s’étend à la France entière ; les grèves et les manifestations paralysent le pays, touchent les media et les arts : festival de Cannes annulé, organisation des Etats généraux du cinéma, grève à l’ORTF… Le 30 mai, le général De Gaulle déclare la dissolution de l’Assemblée Générale. Au début du mois de juin, les événement de Mai semblent déjà loin et l’année suivante, les gaullistes remportent les élections, De Gaulle est réélu Président de la République.

26 août 1970 [17]

 

Partisans [19]

La révolution est courte mais son impact est réel, et se fait sentir au début de la décennie suivante. Elle met au monde un féminisme "deuxième génération", les femmes s’organisent et apprennent des luttes féministes qui explosent alors aux Etats-Unis, et un peu partout dans les pays industrialisés. L’année 1970 est l’acte de naissance, le numéro spécial de Partisans, journal révolutionnaire, porte le titre "Libération des femmes, année zéro" [18] : de nombreux évènements médiatisés deviennent le symbole de ce mouvement naissant, comme la dizaine de femmes qui tentent de déposer une gerbe au mois d’Août sur . la tombe du soldat inconnu, avec des banderoles restées célèbres, "il y a plus inconnu que le soldat inconnu, sa femme" ou "un homme sur deux est une femme". Le M.L.F est un sigle que les médias ont crée suite à cette manifestation, pour "Mouvement de Libération de la Femme", et que les féministes ont repris : "Mouvement de libération des femmes", car la femme, la condition féminine, notions abstraites et réductrices, ne servent qu’à invisibiliser la pluralité des femmes et de leurs discriminations. Le M.L.F est un mouvement ni hiérarchisé ni monolithique [20], auquel participent des militantes, des syndicales, des théoriciennes et "une majorité de femmes venues prendre conscience de leur identité de sexe" [21]. Il se démarque d’organisations féminines, réformistes, qui existaient avant 68, comme l’Union des Femmes Françaises (1943), le Mouvement Démocratique Féminin (1964) ou le Mouvement Français pour le Planning Familial (1953) qui lutte d’abord pour la contraception. En 1968, le M.F.P.F compte cent mille adhérent-e-s et trois ans plus tard cent quatre-vingts centres.

"Ce nouveau féminisme est de tendance résolument socialiste et de caractère radical"
[22]. Inspirées des luttes des Noirs et des américaines, trouvant leurs sources dans les théories marxistes et les livres féministes qui paraissent outre-atlantique depuis Le Deuxième Sexe (le plus important étant Sexual Politics, en français La politique du mâle, de Kate Millet, 1971), les militantes forgent une base théorique au néo-féminisme, en cherchant à dépasser les contradictions les plus handicapantes : l’opposition bourgeoises/ouvrières, le fait que l’opprimée peut aimer, partager le lit de son oppresseur… Le 10 mars 1971, des lesbiennes et des gais se révoltent publiquement contre les propos tenus sur l'homosexualité, "ce douloureux problème", par Ménie Grégoire au cours d'une émission de radio sur l'homosexualité. De cet épisode, on date la première apparition de ce qui va devenir le FHAR, premier collectif lesbien et gai. Les questions que posent les féministes trouvent un écho chez les homosexuels masculins, et c'est ainsi qu'en 1971, au FHAR, se retrouvent filles et garçons. Les lesbiennes y sont nombreuses, mais, fortement engagées dans le mouvement féministe, elles choisissent très rapidement de se retrouver dans des collectifs non mixtes, les rapports avec les hommes homosexuels ou hétérosexuels étant toujours problématiques.

Ainsi naît l’idée d’une oppression spécifique des femmes, commune à toutes, économique, juridique, sexuelle, qui ne peut pas être réduite à la "surexploitation" des femmes par le capitalisme. Comme tout système d’oppression, le patriarcat est un système cohérent qui façonne tous les domaines de la vie collective et individuelle : absence totale ou partielle des droits/exploitation domestique/violences physiques, morales et symboliques… L’ordre social est divisé de telle façon que la femme s’occupe tout naturellement de l’espace privé, et l’homme de l’espace public, celui-ci étant valorisé. Ce naturellement construit un discours qui vise à faire passer les inégalités sociales pour des données innées. Ainsi, les femmes seraient naturellement plus douées que les hommes pour s’occuper des enfants car elles les mettent au monde ; les femmes seraient plus faibles physiquement que les hommes, ce qui explique que ceux ci les protègent ou les battent. Ce discours de naturalisation est intériorisé inconsciemment par les deux sexes, préparés psychologiquement à travers l’éducation et les normes diffusés dans l’ensemble de la société. Le féminisme est pour chaque femme la prise de conscience de son aliénation.

"Le privé est politique" : c’est à l’intérieur de la famille, soumise à l’autorité du chef de famille que se joue principalement l’oppression des femmes. Il s’agit de rendre visible des rapports personnels, intimes pour en révéler leur dimension sociétale.

"Notre corps nous appartient" : les hommes se sont appropriés le corps des femmes, comme force de travail, comme force reproductrice, comme objet sexuel.

A côté du M.L.F, mais souvent avec ses militantes, des groupes et des associations constituées cherchent des aboutissements législatifs aux revendications féministes, comme le M.L.A.C, Choisir, la Ligue du Droit des Femmes. Le Mouvement pour la Liberté de l’Avortement et pour la Contraception (M.L.A.C) est créé en 1973 à la suite du "Manifeste des 343", publié dans le Nouvel Observateur le 5 avril 1971 et dans lequel trois cents quarante-trois femmes déclarent avoir avorté. Parmi elles des femmes célèbres, Simone de Beauvoir, Françoise d’Eaubonne, Françoise Sagan, Marguerite Duras, Jeanne Moreau, Delphine Seyrig... Charlie Hebdo les appelle ironiquement les "343 salopes" ; le "Manifeste des 343 salopes" réclame le libre accès aux moyens anticonceptionnels et l’avortement libre. Défiant la loi 1920 qui interdit l’avortement, ces déclarations font scandale et leurs auteures sont passibles de poursuites. Gisèle Halimi, avocate et qui a déjà eu à souffrir dans les mains d’une "faiseuse d’ange", toute jeune
[23], crée l’association Choisir, au mois de juillet pour les assister et défendre les femmes inculpées pour avortement.

Un enfant si je veux, quand je veux ! [24]

Le M.L.A.C s’implante dans les grandes villes et pratique dans l’illégalité des avortements selon la méthode d’aspiration (méthode Karman). L’avortement, thème cristallisateur du mouvement des femmes, est une bataille urgente : le nombre des avortements clandestins qui se passent dans la honte, la peur et la douleur sont estimés entre quatre cents mille et un million par an. Le 20 novembre 1971, des féministes se regroupent et manifestent pour la première fois dans la rue en faveur de l’avortement. Un an plus tard a lieu le procès de Bobigny : Gisèle Halimi défend Marie-Claire Chevalier, jugée pour avortement, "l’accusée est une gamine de seize ans, violée par un camarade de classe et dénoncée par lui" [25]. Sa mère, Michèle Chevalier est une mère célibataire, et, autour d’elle et de sa fille, le procès prend une dimension nationale.

Les accusées devinrent accusatrices. Dans la tradition des procès "politiques", elles surent tout naturellement grandir jusqu’à devenir les porte-parole de toutes les femmes […] Michèle Chevalier et ses compagnes s’adressèrent à tous et à toutes, à l’opinion publique, à la France entière. La loi qui nous mutilait fut mise en pièces. Les partis politiques, distraits jusque-là, s’émurent. [26]

Le débat prend de l’ampleur. A la mort de Georges Pompidou en 1974, Valéry Giscard d’Estaing est élu Président de la République, favorable à l’avortement, il nomme Simone Veil Ministre de la Santé. Malgré la violence des débats parlementaires, elle réussit à suspendre la loi de 1920, pour une durée provisoire de cinq ans. Le 17 janvier 1975, un décret d'application autorise l'avortement jusqu'à douze semaines.

Dès lors, les femmes sont à l’ordre du jour : Valéry Giscard d’Estaing crée un Secrétariat d’Etat à la Condition féminine (qui disparaîtra en 1976), avec, à sa tête Françoise Giroud. Dotée d’une forte personnalité et connue pour avoir fondé L’Express en 1958, elle n’est pourtant pas une porte parole des causes féministes et déclare même "je ne suis pas féministe car je ne suis pas sexiste" [27]. 1975 est déclaré Année Internationale de la Femme par l’O.N.U et le gouvernement français organise des Journées Internationales de la Femme à Paris : "Le passage le plus applaudi du discours du Premier Ministre, M. Jacques Chirac, fut celui où il s’éleva contre "l’intolérance furieuse" avec laquelle les adeptes de "l’intégrale libération de la femme entendent imposer à toutes les autres femmes leurs conceptions personnelles de la liberté" !" [28].

Même si la "condition féminine" préoccupe la France, le M.L.F n’est pas populaire et dérange, sa non-mixité étant très mal acceptée. Les femmes se sont mobilisées ainsi pour imposer un rapport de forces qui oblige les gouvernements, les mouvement ouvriers et démocratiques à prendre en considération leurs revendications. Pour les unes, ce mouvement se suffit à lui-même, pour d’autres, il s’agit de faire converger, dans la mesure du possible, la lutte féministe avec d’autres mouvements sociaux, dans une perspective anti-capitaliste. Pour toutes, il s’agit de faire prévaloir les objectifs féministes, sans les subordonner à d’autres intérêts supposés "supérieurs".

Nous devons cesser d’accepter d’être un post-scriptum de Marx ou Mao Tsé-Toung et prendre en main notre propre destin. [29]

Le Torchon brûle, n°1 - 1970

Si les années 1971-1975 sont celles de la lutte pour l’avortement, de 1975 à 1979 les féministes se battent sur un terrain plus large, les violences faites aux femmes, symbolisées par la dénonciation du viol comme crime. Le point de vue féministe contamine tant bien que mal l’ensemble de la société, il s’agit bien d’une révolution culturelle.

Graffitis sexistes, 1976 [30]

---------Des luttes et des images
Pour soutenir et donner une trace à cette révolution culturelle, de nombreux collectifs se forment pour produire des films selon leurs idées politiques ; ils préfèrent souvent le 16mm, mais profitent également de la vidéo naissante. Celle-ci en effet se marie rapidement à la contre-culture, elle est utilisée comme instrument d’agit-prop, permettant par son autonomie matérielle et financière la libre expression des minorités sexuelles, politiques, ethniques. Des groupes vidéo se développent un peu partout, et les femmes y sont en très forte proportion : Vidéo 00, Cinélutte, Vidéodéba, ou Vidéo Out, un groupe formé à l’initiative de Carole Roussopoulos, l’une des premières à utiliser la vidéo.

Carole Roussopoulos [31]

Dans tous les pays, les femmes se sont emparées de cette machine. A mon avis, c’est parce-que c’était un médium qui n’avait pas d’histoire, qui n’avait pas d’écoles, les hommes ne s’en étaient pas emparés. […]Il y avait des réalisatrices, mais dans les écoles il n’y avait pas de femmes. C’était donc un médium complètement vierge de références et je pense que ça correspondait au Mouvement de Libération des Femmes des années soixante-dix : les femmes se sont jetées Carole Roussopoulos dessus. [32]

Dans tous les pays, les femmes se sont emparées de cette machine. A mon avis, c’est parce-que c’était un médium qui n’avait pas d’histoire, qui n’avait pas d’écoles, les hommes ne s’en étaient pas emparés. […]Il y avait des réalisatrices, mais dans les écoles il n’y avait pas de femmes. C’était donc un médium complètement vierge de références et je pense que ça correspondait au Mouvement de Libération des Femmes des années soixante-dix : les femmes se sont jetées Carole Roussopoulos dessus.

Il y a aussi des groupes entièrement féminins comme Vidéa, les Insoumuses, les Vidéodieuses. La vidéo est pour elles un moyen d’expression privilégiée, la possibilité d’un véritable contre-culture à condition que les femmes se l’approprient.

Châtrée depuis toujours par la société patriarcale, façonnée par le désir de l’homme, "la femme" n’est qu’une image coupée de sa propre identité. […] Pour une culture qui se crée, il est très important d’utiliser un média qui soit à la fois : reflet des problèmes politiques, sociaux, économiques (reportages, témoignages) et objet de symbolisation (formes de représentation nouvelles). […] On ne voit pas pourquoi la vidéo échapperait à l’idéologie patriarcale véhiculée par les autres médias. Les femmes se heurtent là encore à une mise à l’écart, à un rôle de muses ou de collaboratrices subalternes, bénévoles et reconnaissantes. Les hommes ont fait de la technique un domaine réservé, conduisant à un langage ésotérique. [33]

L’objectif est de produire et diffuser autrement, d’être autonome. Il s’agit de fournir un autre discours, un autre point de vue sur des thèmes abordés par les grands médias, ou bien d’exercer tout simplement son droit de réponse. Par exemple, le 30 décembre 1975, sur Antenne 2, Bernard Pivot anime une émission qui s’intitule "L’année de la femme, ouf…c’est fini !" et invite Françoise Giroud alors secrétaire d’Etat à la Condition Féminine. Le sourire aux lèvres et sans beaucoup de conviction, elle est confrontée à quelques célèbres misogynes. Nadja Ringart, Ioana Wieder, Carole Roussopoulos et Delphine Seyrig, des Insoumuses, ulcérées par la bêtise et le ton de l’émission, autant que par les réactions antiféministes de Françoise Giroud enregistrent l’émission et la remontent, l’entrecoupent de panneaux : "Des milliers des femmes veulent crier…une seule femme a la parole…va t’elle se relever ?" mais Françoise Giroud ne s’offusque jamais et trouve même que tel macho a "un langage d’homme qui aime les femmes", "comme l’homme qui nous pelote dans le métro, comme l’homme qui nous viole en banlieue, comme le client des prostituées" répondent les Insoumuses... Maso et Miso vont en bateau est un film coup de poing dont l’humour et la justesse en font un film qui ne vieillit pas. [34]

Images extraites de Maso et Miso vont en bateau, Les Insoumuses, 1976

Les groupes de cinéma ou de vidéo alternatifs s’engagent sur des thèmes nouveaux ou délaissés par les médias, comme l’homosexualité, le viol, pénètrent dans des endroits semi-interdits : les usines, les institutions, les prisons, les hôpitaux, les crèches, les écoles…En 1979, la revue CinémAction sort un numéro sur le cinéma féministe [35] et propose un catalogue dont la variété des catégories témoigne de la richesse et la vitalité de la production féministe parallèle : Corps (avortement, contraception, plaisir, etc…), Enfants (maternité, éducation), Travail ménager, Travail à l’extérieur, Violence (femmes battues, viol, drague), Identité, Portraits de femmes, Entre femmes, Ici et ailleurs…Quelques titres : Avortement, ils appellent ça I.V.G de L’Aire Elles (1979), Y a qu’à pas baiser (1973), Les prostituées de Lyon parlent (1975) de Vidéo Out, Scum Manifesto (1976), Accouche ! (1977) des Insoumuses, Manif homosexuelle ou l’opinion du français moyen sur la question (1977) du Lézard du Péril Mauve et La Guerrière Pamplemousse et Ella, une vraie famille de Michka Gorki (1979) pour Ciné-femmes international, La lutte des femmes à Lip et ailleurs (1975) d’A.D.P Liaisons directes, Petites têtes et grandes surfaces (1974) de Cinélutte, Election de Miss Montpellier (1978) des Vidéodieuses, Le petit chaperon rouge (1978) de Vidéodéba…

Les réalisatrices s’essaient à un nouveau langage, exploitant les possibilités propres à la vidéo, avec une certaine audace parfois, remodelant l’espace et la durée, selon des rythmes et des regards qu’elles s’approprient. […]. Elles exigent le droit à disposer librement de leur corps, elles tentent, collectivement et individuellement, de cerner leur identité, de la produire à travers leurs propres images. [36]

 

Histoires d'A [37]

Le plus célèbre de ces films parallèles est réalisé à deux mains, par Marielle Issartel et Charles Belmont, c’est Histoires d’A, qui malgré sa censure en 1973 réussit à être vu par près de deux cents mille personnes. S’inscrivant au cœur de la lutte pour l’avortement, les auteur-e-s montrent un avortement réalisé avec la méthode Karman, loin des clichés sordides et des préjugés sur les risques encourus. Transgressif, cru, le film est aussi une réflexion sur la condition des femmes et leur aliénation, faisant le lien entre la lutte pour l’avortement et la nécessité d’une lutte féministe globale.

Manifestion du 8 mars 1975 [38]

Le documentaire de Coline Serreau, Mais qu’est-ce qu’elles veulent ? est également réalisé marginalement, la réalisatrice ne trouve aucun financement, jusqu’à ce qu’Antoinette Fouque qui dirige les éditions Des Femmes lui donne cent mille francs. Le titre est inspiré par une banderole de la manifestation féministe du 8 mars 1975 ("Journée de la Femme") et le film est une somme d’interviews de femmes, de différents milieux sociaux, qui témoignent de leur quotidien, de leur isolement. Finalement il sortira en salles grâce au succès de Pourquoi pas !, en 1978.

Qui, elles ? Les femmes. Le titre, son interrogation légèrement impatiente traduisent l’agacement d’une majorité des gens devant les récriminations féminines. Depuis que les femmes contestent, protestent et manifestent, on ne sait plus très bien où l’on en est. […] Il urge donc de faire le point. Posément. […] Coline Serreau offre micro et caméra, elle donne voix et visage à des obscures, à des ‘‘faibles’’, à des ordinairement silencieuses. Parce que ce sont précisément ces femmes-là qui témoignent le mieux […] de l’oppression dont elles ont souffert et souffrent, sans jamais se plaindre – puisque c’est comme ça depuis des siècles. […] Ce sont tous ces comme ça que Coline Serreau présente à la queue leu leu. Ils ont tous un dénominateur commun : ‘‘ Oui papa, oui chéri, oui patron’’. [39]

Ce "c’est comme ça", les femmes n’en veulent plus. La lutte la plus difficile du mouvement féministe reste celle de la reconnaissance du viol comme crime contre les femmes : « Viol de nuit, terre des hommes », un combat qui touche profondément aux relations hommes/femmes et qui nécessite un changement considérable des mentalités.

Quand on a commencé la campagne contre le viol en 76, c’était très difficile : tous les jours on était couvertes d’insultes dans Libération ! […] Le viol c’était l’expression de la misère sexuelle des masses…Les masses étant toujours masculines ! […]. C’est une idée qui était très sérieusement soutenue à l’époque, et pas juste par des hommes. Il y avait toute une idée de la sexualité qui allait d’elle-même. Pour nous la lutte contre le viol […] débouchait aussi sur la déconstruction de l’obligation de l’hétérosexualité. [40]

Manisfestation contre le viol, 1979 [41]

Le viol fait partie de la sexualité des hommes, ou bien des femmes, dans certain cinéma des hommes, de grands succès, comme Orange Mécanique, de Stanley Kubrick, en tête du box-office de l’années 1972 (7,3 millions d’entrées), Emmanuelle, de Just Jaeckin, qui bat les records en 1974 avec 8,8 millions d’entrées.

Emmanuelle qui représente explicitement des actes sexuels, des scènes de viols consentants, collectifs, sur fond d’érotisme exotique pose la question du corps des femmes dans le cinéma à caractère pornographique. Ainsi, sur les écrans, le viol attire le public alors que les féministes essaient de le dénoncer comme atteinte à leur dignité. Les collectifs Vidéodieuses (Les femmes la nuit, 1978) ou Vidéo Out (Anne, Corinne et le viol, 1978) travaillent à donner la parole aux femmes sur ce sujet sensible et encore tabou.

Tract anonyme 1970-1971 et affiche pour les Dix heures contre le viol à la Mutualité, 1976 [42]

La vidéo et le mode de production rapide qu’elle permet, donne des images aux luttes. Qu’en est-il du cinéma des femmes ?
Le cinéma français traverse une crise économique, à partir de 1973, qui fragilise les producteurs les plus à mêmes de soutenir un cinéma ambitieux, la plupart des réalisatrices doivent créer leur propre société de production et tenter de financer leur film grâce aux aides de l’Etat, c’est le cas pour Yannick Bellon avec Les films de l’Equinoxe. Par ailleurs, les meilleurs succès commerciaux donnent une idée des films sur lesquels la profession préfère parier : Les bidasses en folie (1971 – 7,4 millions d’entrées), Les aventures de Rabi Jacob (1973 – 7,3 millions d’entrées), Emmanuelle (1974 – 8,8 millions d’entrées), La cage aux folles (1978, 5,3 millions d’entrées)…

De ce point de vue, les obstacles que rencontre certaines réalisatrices sont éclairants : Agnès Varda tourne L’une chante, l’autre pas en 1976, mais l’origine du film remonte à 1970 : sa rencontre avec le Women’s Lib aux Etats-Unis est décisive, elle se documente sur le féminisme, rencontre des femmes. Après un voyage en Iran, elle écrit en 1971 la première version d’un film au titre éloquent Mon corps est à moi, qui mêle réalité et fiction, autour de trois femmes. L’avance sur scénario lui est refusée. Elle réécrit une deuxième version, réduit son budget, se concentre sur l’amitié de deux personnages féminins. En 1972, elle suit le procès de Bobigny et met au monde son fils, Mathieu. Durant l’année 1973, elle enquête sur les femmes, va à Amsterdam, y rencontre des groupes de femmes, et l’année suivante elle affine son scénario qui devient L’une chante, l’autre pas. A nouveau elle reprend la recherche de financements, elle obtient cette fois-ci une aide du C.N.C mais de nombreux producteurs refusent de croire à son film. Elle décidera alors contre vents et marées de le produire elle-même. Michèle Rosier ne trouve pas non plus de producteur pour Mon cœur est rouge, elle crée donc elle aussi sa propre société, Go Films, mais devra attendre plusieurs mois avant de pouvoir sortir son film en salles.

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