-
L’ascension des femmes dans le cinéma -
Métier : Cinéastes.
Sexe : Féminin. Femmes cinéastes donc ! Selon
les historiens du cinéma, elles occupent un quarantième
des sièges de la réalisation, c’est-à-dire
à peine cent-cinquante. Ils portent sur elles et
leurs œuvres un jugement similaire : mineures, sauf
exception. Qu’importe la qualité de leur contribution,
elles sont toutes, plus ou moins, des contrebandières
sur cette terre des hommes qui prohibe la création
du/au féminin. Leurs œuvres sont frappées
d’interdit, enrobées de silence ou accablées
de mépris. Leurs lettres de noblesse pour le septième
art sont déclarées apocryphes. Véritable
toile de Pénélopes qu’elles tissent
au grand jour, leurs films sont niés ou irrémédiablement
endommagés par les critiques, les distributeurs,
les producteurs. On trouve pourtant parmi ces femmes cinéastes
l’auteure du premier film de fiction au monde, quelques
pionnières chevronnées, et parfois une conceptrice
d’un genre cinématographique nouveau, ou encore
une expérimentaliste visionnaire. [01]
|
Dans son anthologie
du cinéma des femmes, Thérèse Lamartine donne
le ton : les metteurs en scène-femmes auront à en
découdre avec un milieu qui ne veut pas d’elles. A
la difficulté de mener une carrière s’ajoute
également celle de la reconnaissance de leur travail artistique.
---------Misogynie
de la profession
"…celle à laquelle on s’habitue presque
à force d’y être soumise." [02]
Les femmes qui s’intéressent à l’histoire
du cinéma, Thérèse Lamartine, Denise Brahimi
[03],
ou les féministes de Musidora [04]
n’oublient jamais de rappeler
l’oubli dont a souffert la première metteur en scène-femme
: Alice Guy. Sténodactylographe pour le Comptoir Général
de photographie en 1895, elle travaille pour Léon Gaumont
quand celui-ci rachète cette société et lui
donne le nom de "Société en commandite Léon
Gaumont et Cie". Georges Sadoul écrit dans son Histoire
générale du cinéma "la clientèle
de Gaumont lui demandant des films mis en scène, celui-ci
demanda à sa secrétaire, Mlle Alice Guy, de bien vouloir
se charger de ce soin. On dressa un décor sous une véranda
contre le mur d’un terrain vague attenant à l’atelier
de la rue des Alouettes et c’est là que furent faites,
au cours de 1899, les premières mises en scène de
la maison Gaumont" [05].
Pour Alice Guy, il en va autrement : "Fille d’un éditeur,
j’avais beaucoup lu, pas mal retenu. J’avais fait un
peu de théâtre d’amateur, et pensais qu’on
pouvait faire mieux. M’armant de courage, je proposai timidement
à Gaumont d’écrire une ou deux saynètes
et de les faire jouer par des amis […] Si on avait prévu
le développement que prendrait l’affaire, je n’aurais
jamais obtenu ce consentement".
Le poste de metteur en scène est en effet un poste de pouvoir,
il s’agit de diriger une équipe, de créer un
produit dont les enjeux financiers peuvent être considérables.
Les femmes qui sont généralement écartées
de ce type de responsabilités connaîtront encore plus
d’obstacles quand le cinéma acquérra ses lettres
de noblesse, à la fois pour intégrer la profession
et y être reconnue en tant qu’auteure. Ainsi de véritables
injustices entourent la carrière d’Alice Guy. La plus
cruelle peut-être est l’attribution de ses films à
d’autres cinéastes - hommes eux, comme à Louis
Feuillade qui a été son assistant - par les historiens
du cinéma qui (ré-)écrivent l’Histoire,
une his-story [06].
C’est seulement après sa mort, en 1968, que l’œuvre
d’Alice Guy va être mieux étudiée et reconnue,
par Francis Lacassin (Pour une contre-histoire du cinéma,
Union générale d’édition, Paris, 1972),
par la publication de ses mémoires grâce à Musidora
(Autobiographie d’une pionnière du cinéma,
1873-1968, edition Denoël-Gonthier, Paris, 1976). Secrétaire,
scénariste, réalisatrice, directrice de production…
Alice Guy réalisera plus de quatre-cents films pour la maison
Gaumont, allant de quelques minutes (La fée aux choux,
1896, première fiction) à la durée normale
de longs-métrages (La vie du Christ, 1906), avant
de partir aux Etats-Unis où elle fondera sa propre maison
de production.
Cette pionnière, un modèle pour des femmes qui en
manquent cruellement, meurt et est réhabilitée au
moment même où de nombreuses femmes feront une véritable
intrusion dans le mâle-cinéma, et commencera
à changer les rapports de forces et les représentations.
Dès lors, Charles Ford ne peut plus affirmer comme en 1972,
"La liste est brève des réalisatrices de cinéma
[…] ce n’est pas parce que le métier serait masculin
par essence, mais plutôt parce qu’il exige des personnes
qui l’exercent une énergie de surmâles."
[07]
! Et au même moment, le mouvement
féministe déconstruit cette idéologie patriarcale,
dénonce l’exclusion des femmes de certains domaines
réservés, ou leur masculinisation qui cherche à
justifier leur présence. "Il n’y a rien d’étonnant
à ce que le nombre des femmes cinéastes ait été
si limité par rapport au nombre des hommes. Ce n’est
que la manifestation dans le domaine du cinéma d’un
fait général" [08].
---------Une
vague de réalisatrices
Sur l’ensemble
de la décennie soixante-dix, soixante-quatorze femmes réalisent
cent-dix huit longs-métrages (en moyenne un film et demi
par cinéaste) : un chiffre énorme comparé à
la quasi-absence des femmes metteurs en scène en soixante-dix
ans de cinéma. 1975 sera l’année culminante
avec l’apparition de douze nouvelles réalisatrices
(voir graphique p.10) ; les cinéastes qui réaliseront
le plus grand nombre de films sont Marguerite Duras (onze films
entre 1969 et 1979), Chantal Akerman [09]
(cinq films), Yannick Bellon, Nelly Kaplan, Agnès Varda et
Nadine Trintignant (quatre films chacune) ; elles sont également
parmi les plus (re)connues.
Pour autant, si cette "irrésistible ascension des femmes
cinéastes" [10]
est nouvelle et remarquée,
leur proportion reste minime ; par exemple, pour l’ensemble
de la décennie soixante-dix, on compte cinquante-trois nouvelles
réalisatrices pour trois-cents-trente nouveaux réalisateurs,
soit seize pour cents ; sur les effectifs globaux, il y a environ
dix metteurs en scène-femmes pour quatre-vingt dix metteurs
en scène-hommes… Il faut donc relativiser ce phénomène
nouveau, car "si leur proportion s’est améliorée,
ce ne sera en tout cas pas une "ascension" et encore moins
la preuve de l'"emprise" des femmes sur le cinéma
français. Qu’elles y impriment leur empreinte serait
déjà pas si mal." [11]
Le cinéma
féminin reste minoritaire mais désormais les réalisatrices
ne font plus figure d’exception, et leurs noms se multiplient,
s’ajoutant à celles qui avaient déjà
difficilement réussi à laisser leur "empreinte",
Alice Guy, Germaine Dulac, Jacqueline Audry, Agnès Varda…
-
Des parcours hétérogènes -
Alice Guy secrétaire,
Agnès Varda photographe, Marguerite Duras écrivaine,
Yannick Bellon monteuse… Les metteurs en scènes françaises
ont tendance à arriver au cinéma par des chemins de
traverse. C’est que les discriminations à l’égard
des femmes sont à l’œuvre aussi dans cette profession,
à commencer par les circuits traditionnels, les écoles.
---------Des
obstacles
Après la seconde guerre mondiale, le meilleur moyen de commencer
une carrière cinématographique est d’entrer
à l’IDHEC, l’Institut des Hautes Etudes Cinématographiques,
plus tard remplacé par la FEMIS (Institut de Formation aux
Métiers de l’Images et du Son). Le concours d’entrée
est très sélectif et les places sont chères
; si l’école est ouverte en principe aux candidates,
elle s’arrange pour les cantonner aux postes dits "féminins",
comme le montage, le métier de script, le maquillage, le
costume. Les aspects techniques, son, photographie, caméra,
ainsi que la réalisation sont considérés comme
des métiers masculins, et différents arguments sont
donnés pour décourager les femmes d’entrer dans
ces domaines réservés, comme le poids du matériel,
les difficultés techniques ou les responsabilités.
Bien que la Nouvelle Vague, en contestant le savoir-faire professionnel
et le système de l’assistanat, ait permis de rendre
moins rigide les équipes de tournage et de développer
l’utilisation de matériels moins lourds et plus accessibles,
les mentalités à l’égard des femmes évoluent
peu et les vieux arguments persistent. La répartition traditionnelle
des rôles masculins et féminins, sexiste sans qu’elle
puisse être nommée comme telle, avant la contestation
féministe des années soixante-dix, était acceptée
de tous et de toutes. Ainsi les filles qui passent le concours d’entrée
savent qu’elles ne seront pas admises dans la section réalisation,
et vont dans la section montage, comme Danielle Jaeggi, qui aurait
voulu s’inscrire en réalisation "mais le directeur
de l’époque me l’a déconseillé"
[12].
En 1974, les femmes représentent quatre pour cent des étudiants
de l’IDHEC.
Un autre moyen de devenir cinéaste est de faire ses armes
auprès d’un metteur en scène reconnu ; là
encore, peu de femmes se sont vues offrir cette opportunité.
Jusqu’à la fin des années 60, ces éléments
découragent la majorité des femmes à devenir
metteurs en scène. D’autre part, l’important
apport financier nécessaire pour commencer à réaliser
des films étant dissuasif, les femmes optent le plus souvent
pour des films modestes et peu coûteux, comme le documentaire,
qui sera la forme d’expression privilégiée des
féministes dans ces années de contestation.
---------Une
vague qui s’amplifie
Si pour Denise Brahimi, Mai 68 n’explique pas à lui
tout seul l’accès soudain des femmes derrière
les caméra, au moins la conjoncture politique féministe
de l’époque a t-elle favorisé la visibilité
des combats féminins dans tous les domaines, de la revendication
des droits – à disposer de son corps – à
la volonté de pénétrer les bastions masculins.
En effet, avant 1968, les femmes metteurs en scènes apparaissent
de manière isolée mais leur nombre augmente et on
commence à parler d’elles. On rencontre d’abord
Agnès Varda, la plus connue. Née à Bruxelles
en 1928, Agnès Varda est d’abord photographe, elle
passe directement à la réalisation d’un long-métrage
en 1954, La pointe courte, dont le style novateur marquera
le début de la Nouvelle Vague ; ses films suivants, Cléo
de 5 à 7, 1961, Le bonheur, 1965 confirment
son savoir-faire et son talent. En 1964 sort un film qui, parce
qu’il est réalisé par une femme et qu’il
met en image un personnage de jeune fille loin des clichés,
fait scandale, c’est La dérive, le premier
des deux films de Paula Delsol. Née en 1923, Paula Delsol
rencontre le milieu cinématographique grâce à
son mari, chef opérateur, puis, passionnée, elle crée
sa maison de production dans les années cinquante et réalise
ses propres courts-métrages jusqu’à La dérive
; malgré le soutien de François Truffaut et de Jean-Luc
Godard attentifs à cette cinéaste prometteuse, Paula
Delsol ne renouvellera l’expérience que douze ans plus
tard avec Ben et Bénédict. C’est à
partir de 1966, année de La Musica, que commencera
l’œuvre cinématographique de Marguerite Duras
; cette grande écrivaine, née en 1914, réalisera
tout au long de la décennie soixante-dix une dizaine de films,
dont India Song en 1975, le chef d’œuvre de
sa carrière. En 1966 également sort le premier film
de Nadine Trintignant, Mon amour, mon amour ; née
en 1938, issue d’une famille de théâtre et de
cinéma, elle est d’abord assistante monteuse dans les
années 50, puis scripte, monteuse, avant de devenir metteur
en scène.
1969 est une année importante car on retrouve sur les écrans
les deuxièmes films de Duras et Trintignant, Détruire
dit-elle et Le voleur de crime, et un premier film
subversif, libertaire, dans l’air du temps de l’après
mai 68, La fiancée du pirate. L’auteure, Nelly
Kaplan, née en 1931 à Buenos Aires, bénéficie
d’un apprentissage auprès d’Abel Gance dont elle
est l’assistante avant de réaliser ses propres courts-métrages,
consacrés à des peintres et des graveurs, dont Le
regard Picasso obtient le Lion d’Or à Venise en
1967. Romancière également sous le pseudonyme de Belen,
son recueil de contes surréalistes Le Réservoir
des Sens en 1965 annonce la subversion érotique de La
fiancée du pirate. En cette même année
1969, un court-métrage fait le tour des festivals : Saute
ma ville est remarqué par son style autant que par la
jeunesse de son auteure, Chantal Akerman. Cette bruxelloise, qui
a passé trois mois à l’Insas, développe
son univers personnel dans les années suivantes pour offrir
à vingt-six ans un film dur et exigeant, Jeanne Dielman,
23 quai du Commerce, 1080 Bruxelles.
Varda, Duras, Trintignant,
Kaplan… Françoise Audé les appelle les "partantes"
[13]
… elles seront rapidement rejointes par d’autres femmes,
toutes issues de milieux et de cursus différents. D’abord
par Yannick Bellon, née à Paris en 1924, issue d’une
famille d’artistes reconnus, comme sa mère, Denise
Bellon, photographe ou son oncle, Jacques Brunius, cinéaste,
acteur, écrivain. Elle fait un court séjour à
l’IDHEC en montage et apprend son métier en tant qu’assistante
de Nicole Védres sur Paris 1900 en 1948. Elle passe tard
à la réalisation d’un premier long métrage
qui sort sur les écrans en 1972, Quelque part quelqu’un.
La même année Nina Companeez réalise un premier
film, Faustine et le bel été. Née
à Paris en 1937, fille d’un scénariste reconnu,
Jacques Companeez, elle entre dans la profession comme monteuse
puis rencontrera Michel Deville avec lequel elle cosignera les scénarios
de plusieurs films à succès, avant de réaliser
ses propres films. Ainsi les films réalisés par des
femmes se diversifient. En analysant leurs dates de naissances,
on peut voir que la majorité des réalisatrices sont
issues de la génération de l’entre deux guerres
- sauf Duras - et qu’elles feront leur entrée dans
le cinéma plus tard que les hommes de leur génération,
ceux précisément qui ont nourri la Nouvelle Vague,
Godard, Truffaut…
Quant aux réalisatrices qui arrivent à partir du milieu
des années soixante-dix, elles sont plutôt nées
après la deuxième guerre mondiale. Certaines sont
passées par l’IDHEC, en montage (Claudine Guilmain,
Danielle Jaeggi), et d’autres sont déjà reconnues,
dans la profession elle-même, comme les comédiennes
Diane Kurys, Coline Serreau, Christine Pascal, Jeanne Moreau, Anna
Karina, dans les milieux littéraires comme Nicole de Buron
ou Françoise Sagan, ou bien d’ailleurs, comme la styliste
Michèle Rosier.
Devenir metteur en scène pour une femme est un choix risqué
et difficile, de ce fait, il est souvent une deuxième activité.
-
L’influence de mai 68 -
Mai 68 est une crise
politique, une rupture dans la société française
comme dans la culture française. Le vent contestataire qui
souffle en France et éclate durant ce mois fait émerger
des voix nouvelles : ceux qui n’avaient auparavant pas accès
au discours, comme la classe ouvrière, les minorités
ethniques, les femmes, prennent la parole. Ils et elles se regroupent,
s’organisent en collectifs, impriment leurs colères
sur pellicule, et s’emparent d’un outil tout nouveau,
la vidéo. Un nombre incroyable de films tournent alors en
France, totalement en dehors du système.
Les femmes metteurs en scène ont peu de connexions avec ce
milieu parallèle et les nombreuses femmes qui y gravitent.
Cependant certaines réalisatrices ont un parcours engagé
: Marguerite Duras participe aux évènements de mai
68, soutient publiquement le mouvement féministe et signe
le "Manifeste des 343" [14]
en 1971. Agnès Varda filme contre la guerre du Viêt-Nam
et auprès des Black Panthers en 1968 et reconstitue dans
L’une chante, l’autre pas, une fiction de 1976,
le procès de Bobigny, un tournant dans la lutte des femmes
pour l’avortement ; Coline Serreau réalise en 1975
un documentaire féministe dans des conditions précaires,
Mais qu’est-ce qu’elles veulent ?, un film
manifeste qui est montré dans des circuits parallèles
avant de sortir en salles en 1977; Danielle Jaeggi est l’une
des rares qui fait partie de collectifs vidéo et de l’agit-prop
féministe et qui réalise un long-métrage, La
fille de Prague avec un sac très lourd, en 1978. C’est
en fait la comédienne, Delphine Seyrig, alors qu’elle
est une star après des films comme L’année
dernière à Marienbad d’Alain Resnais (1961)
ou Baisers Volés de François Truffaut (1968)
qui se montrera le plus aux côtés des féministes
: elle signe le "Manifeste des 343", soutient Gisèle
Halimi au procès de Bobigny, et en même temps qu’elle
privilégie les propositions de metteurs en scène-femmes,
de Marguerite Duras à Chantal Akerman ou Liliane de Kermadec,
elle participe à des collectifs de vidéo, et réalise
un film en 1978, Sois belle et tais-toi, où elle
interroge des actrices célèbres sur le rapport à
leur image, à leur corps, aux exigences du métier.
---------Mai
68, naissance du M.L.F
Si la sexualité est un des premiers thèmes de la contestation
étudiante avant Mai, les critiques de la société
de consommation et la lutte des classes occupent ensuite le devant
de la scène. Les collectifs et les assemblées générales
sont peu enclins à questionner les rapports hommes/femmes
d’autant plus qu’à la fin des années soixante,
le féminisme est victime d’un détournement de
sens à travers la ridiculisation des luttes des suffragettes
:
Le mot
féministe est à coup sûr un des mots de
la langue française le plus chargé d’anathème
[…]. Des combats féministes on ne garde que la
caricature : la féministe ne peut être qu’une
vieille dame, agressive et ridicule, le comble pour une femme
[…]. Le traumatisme de la suffragette aura été
tel qu’aucun mouvement féminin n’ose s’avouer
féministe et que toute femme, soucieuse de ne pas se
discréditer aux yeux de son entourage, se défend
vigoureusement d’être féministe quand elle
est prise en flagrant délit de contestation (féministe).
[15]
|
Quelques militantes
affichent cependant le désir de réfléchir les
problèmes des femmes de manière autonome par rapport
aux luttes de classes :
Etudiant qui remets tout
en question,
Les rapports de l’élève au maître,
As-tu pensé aussi à remettre en question
Les rapports de l’homme à la femme ?
Etudiante qui participe
à la révolution,
Ne sois pas dupée une fois de plus,
Ne suis pas seulement les autres,
Définis tes propres revendications ! [16]
|
Ces voix féministes
sont ensuite noyées dans un mouvement contestataire élargi
– étudiants et ouvriers - qui s’étend
à la France entière ; les grèves et les manifestations
paralysent le pays, touchent les media et les arts : festival de
Cannes annulé, organisation des Etats généraux
du cinéma, grève à l’ORTF… Le 30
mai, le général De Gaulle déclare la dissolution
de l’Assemblée Générale. Au début
du mois de juin, les événement de Mai semblent déjà
loin et l’année suivante, les gaullistes remportent
les élections, De Gaulle est réélu Président
de la République.
|
|
La révolution
est courte mais son impact est réel, et se fait sentir au
début de la décennie suivante. Elle met au monde un
féminisme "deuxième génération",
les femmes s’organisent et apprennent des luttes féministes
qui explosent alors aux Etats-Unis, et un peu partout dans les pays
industrialisés. L’année 1970 est l’acte
de naissance, le numéro
spécial de Partisans, journal révolutionnaire,
porte le titre "Libération des femmes, année
zéro" [18]
: de nombreux évènements
médiatisés deviennent le symbole de ce mouvement naissant,
comme la dizaine de femmes qui tentent de déposer une gerbe
au mois d’Août sur . la tombe du soldat inconnu, avec
des banderoles restées célèbres, "il y
a plus inconnu que le soldat inconnu, sa femme" ou "un
homme sur deux est une femme". Le M.L.F est un sigle que les
médias ont crée suite à cette manifestation,
pour "Mouvement de Libération de la Femme", et
que les féministes ont repris : "Mouvement de libération
des femmes", car la femme, la condition féminine,
notions abstraites et réductrices, ne servent qu’à
invisibiliser la pluralité des femmes et de leurs discriminations.
Le M.L.F est un mouvement ni hiérarchisé ni monolithique
[20],
auquel participent des militantes, des syndicales, des théoriciennes
et "une majorité de femmes venues prendre conscience
de leur identité de sexe" [21].
Il se démarque d’organisations féminines, réformistes,
qui existaient avant 68, comme l’Union des Femmes Françaises
(1943), le Mouvement Démocratique Féminin (1964) ou
le Mouvement Français pour le Planning Familial (1953) qui
lutte d’abord pour la contraception. En 1968, le M.F.P.F compte
cent mille adhérent-e-s et trois ans plus tard cent quatre-vingts
centres.
"Ce nouveau féminisme est de tendance résolument
socialiste et de caractère radical" [22].
Inspirées des luttes des Noirs et des américaines,
trouvant leurs sources dans les théories marxistes et les
livres féministes qui paraissent outre-atlantique depuis
Le Deuxième Sexe (le plus important étant
Sexual Politics, en français La politique du mâle,
de Kate Millet, 1971), les militantes forgent une base théorique
au néo-féminisme, en cherchant à dépasser
les contradictions les plus handicapantes : l’opposition bourgeoises/ouvrières,
le fait que l’opprimée peut aimer, partager le lit
de son oppresseur… Le 10 mars 1971, des lesbiennes et des
gais se révoltent publiquement contre les propos tenus sur
l'homosexualité, "ce douloureux problème",
par Ménie Grégoire au cours d'une émission
de radio sur l'homosexualité. De cet épisode, on date
la première apparition de ce qui va devenir le FHAR, premier
collectif lesbien et gai. Les questions que posent les féministes
trouvent un écho chez les homosexuels masculins, et c'est
ainsi qu'en 1971, au FHAR, se retrouvent filles et garçons.
Les lesbiennes y sont nombreuses, mais, fortement engagées
dans le mouvement féministe, elles choisissent très
rapidement de se retrouver dans des collectifs non mixtes, les rapports
avec les hommes homosexuels ou hétérosexuels étant
toujours problématiques.
Ainsi naît l’idée d’une oppression spécifique
des femmes, commune à toutes, économique, juridique,
sexuelle, qui ne peut pas être réduite à la
"surexploitation" des femmes par le capitalisme. Comme
tout système d’oppression, le patriarcat est un système
cohérent qui façonne tous les domaines de la vie collective
et individuelle : absence totale ou partielle des droits/exploitation
domestique/violences physiques, morales et symboliques… L’ordre
social est divisé de telle façon que la femme s’occupe
tout naturellement de l’espace privé, et l’homme
de l’espace public, celui-ci étant valorisé.
Ce naturellement construit un discours qui vise à
faire passer les inégalités sociales pour des données
innées. Ainsi, les femmes seraient naturellement
plus douées que les hommes pour s’occuper des enfants
car elles les mettent au monde ; les femmes seraient plus faibles
physiquement que les hommes, ce qui explique que ceux ci les protègent
ou les battent. Ce discours de naturalisation est intériorisé
inconsciemment par les deux sexes, préparés psychologiquement
à travers l’éducation et les normes diffusés
dans l’ensemble de la société. Le féminisme
est pour chaque femme la prise de conscience de son aliénation.
"Le privé
est politique" : c’est à l’intérieur
de la famille, soumise à l’autorité du chef
de famille que se joue principalement l’oppression des femmes.
Il s’agit de rendre visible des rapports personnels, intimes
pour en révéler leur dimension sociétale.
"Notre corps
nous appartient" : les hommes se sont appropriés le
corps des femmes, comme force de travail, comme force reproductrice,
comme objet sexuel.
A côté du M.L.F, mais souvent avec ses militantes,
des groupes et des associations constituées cherchent des
aboutissements législatifs aux revendications féministes,
comme le M.L.A.C, Choisir, la Ligue du Droit des Femmes.
Le Mouvement pour la Liberté de l’Avortement et pour
la Contraception (M.L.A.C) est créé en 1973 à
la suite du "Manifeste des 343", publié dans le
Nouvel Observateur le 5 avril 1971 et dans lequel trois cents quarante-trois
femmes déclarent avoir avorté. Parmi elles des femmes
célèbres, Simone de Beauvoir, Françoise d’Eaubonne,
Françoise Sagan, Marguerite Duras, Jeanne Moreau, Delphine
Seyrig... Charlie Hebdo les appelle ironiquement les "343 salopes"
; le "Manifeste des 343 salopes" réclame le libre
accès aux moyens anticonceptionnels et l’avortement
libre. Défiant la loi 1920 qui interdit l’avortement,
ces déclarations font scandale et leurs auteures sont passibles
de poursuites. Gisèle Halimi, avocate et qui a déjà
eu à souffrir dans les mains d’une "faiseuse d’ange",
toute jeune [23],
crée l’association Choisir, au mois de juillet
pour les assister et défendre les femmes inculpées
pour avortement.
|
Un
enfant si je veux, quand je veux ! [24] |
Le M.L.A.C s’implante
dans les grandes villes et pratique dans
l’illégalité des avortements selon la méthode
d’aspiration (méthode Karman). L’avortement,
thème cristallisateur du mouvement des femmes, est une bataille
urgente : le nombre des avortements clandestins qui se passent dans
la honte, la peur et la douleur sont estimés entre quatre
cents mille et un million par an. Le 20 novembre 1971, des féministes
se regroupent et manifestent pour la première fois dans la
rue en faveur de l’avortement. Un an plus tard a lieu le procès
de Bobigny : Gisèle Halimi défend Marie-Claire Chevalier,
jugée pour avortement, "l’accusée est une
gamine de seize ans, violée par un camarade de classe et
dénoncée par lui" [25].
Sa mère, Michèle Chevalier est une mère célibataire,
et, autour d’elle et de sa fille, le procès prend une
dimension nationale.
Les accusées
devinrent accusatrices. Dans la tradition des procès
"politiques", elles surent tout naturellement grandir
jusqu’à devenir les porte-parole de toutes les
femmes […] Michèle Chevalier et ses compagnes
s’adressèrent à tous et à toutes,
à l’opinion publique, à la France entière.
La loi qui nous mutilait fut mise en pièces. Les partis
politiques, distraits jusque-là, s’émurent.
[26]
|
Le débat
prend de l’ampleur. A la mort de Georges Pompidou en 1974,
Valéry Giscard d’Estaing est élu Président
de la République, favorable à l’avortement,
il nomme Simone Veil Ministre de la Santé. Malgré
la violence des débats parlementaires, elle réussit
à suspendre la loi de 1920, pour une durée provisoire
de cinq ans. Le 17 janvier 1975, un décret d'application
autorise l'avortement jusqu'à douze semaines.
Dès lors, les femmes
sont à l’ordre du jour : Valéry Giscard d’Estaing
crée un Secrétariat d’Etat à la Condition
féminine (qui disparaîtra en 1976), avec, à
sa tête Françoise Giroud. Dotée d’une
forte personnalité et connue pour avoir fondé L’Express
en 1958, elle n’est pourtant pas une porte parole des causes
féministes et déclare même "je ne suis
pas féministe car je ne suis pas sexiste" [27].
1975 est déclaré Année Internationale de la
Femme par l’O.N.U et le gouvernement français organise
des Journées Internationales de la Femme à Paris :
"Le passage le plus applaudi du discours du Premier Ministre,
M. Jacques Chirac, fut celui où il s’éleva contre
"l’intolérance furieuse" avec laquelle les
adeptes de "l’intégrale libération de la
femme entendent imposer à toutes les autres femmes leurs
conceptions personnelles de la liberté" !" [28].
Même si la "condition féminine" préoccupe
la France, le M.L.F n’est pas populaire et dérange,
sa non-mixité étant très mal acceptée.
Les femmes se sont mobilisées ainsi pour imposer un rapport
de forces qui oblige les gouvernements, les mouvement ouvriers et
démocratiques à prendre en considération leurs
revendications. Pour les unes, ce mouvement se suffit à lui-même,
pour d’autres, il s’agit de faire converger, dans la
mesure du possible, la lutte féministe avec d’autres
mouvements sociaux, dans une perspective anti-capitaliste. Pour
toutes, il s’agit de faire prévaloir les objectifs
féministes, sans les subordonner à d’autres
intérêts supposés "supérieurs".
Nous devons
cesser d’accepter d’être un post-scriptum
de Marx ou Mao Tsé-Toung et prendre en main notre propre
destin. [29] |
|
Le Torchon brûle,
n°1 - 1970 |
Si les années
1971-1975 sont celles de la lutte pour l’avortement, de 1975
à 1979 les féministes se battent sur un terrain plus
large, les violences faites aux femmes, symbolisées par la
dénonciation du viol comme crime. Le point de vue féministe
contamine tant bien que mal l’ensemble de la société,
il s’agit bien d’une révolution culturelle.
|
Graffitis
sexistes, 1976 [30] |
---------Des
luttes et des images
Pour soutenir et donner une trace à cette révolution
culturelle, de nombreux collectifs se forment pour produire des
films selon leurs idées politiques ; ils préfèrent
souvent le 16mm, mais profitent également de la vidéo
naissante. Celle-ci en effet se marie rapidement à la contre-culture,
elle est utilisée comme instrument d’agit-prop, permettant
par son autonomie matérielle et financière la libre
expression des minorités sexuelles, politiques, ethniques.
Des groupes vidéo se développent un peu partout, et
les femmes y sont en très forte proportion : Vidéo
00, Cinélutte, Vidéodéba, ou Vidéo Out,
un groupe formé à l’initiative de Carole Roussopoulos,
l’une des premières à utiliser la vidéo.
Dans tous les pays, les
femmes se sont emparées de cette machine. A mon avis,
c’est parce-que c’était un médium
qui n’avait pas d’histoire, qui n’avait
pas d’écoles, les hommes ne s’en étaient
pas emparés. […]Il y avait des réalisatrices,
mais dans les écoles il n’y avait pas de femmes.
C’était donc un médium complètement
vierge de références et je pense que ça
correspondait au Mouvement de Libération des Femmes
des années soixante-dix : les femmes se sont jetées
Carole Roussopoulos dessus. [32]
|
Dans tous les pays,
les femmes se sont emparées de cette machine. A mon avis,
c’est parce-que c’était un médium qui
n’avait pas d’histoire, qui n’avait pas d’écoles,
les hommes ne s’en étaient pas emparés. […]Il
y avait des réalisatrices, mais dans les écoles il
n’y avait pas de femmes. C’était donc un médium
complètement vierge de références et je pense
que ça correspondait au Mouvement de Libération des
Femmes des années soixante-dix : les femmes se sont jetées
Carole Roussopoulos dessus.
Il y a aussi des
groupes entièrement féminins comme Vidéa, les
Insoumuses, les Vidéodieuses. La vidéo est pour elles
un moyen d’expression privilégiée, la possibilité
d’un véritable contre-culture à condition que
les femmes se l’approprient.
Châtrée
depuis toujours par la société patriarcale,
façonnée par le désir de l’homme,
"la femme" n’est qu’une image coupée
de sa propre identité. […] Pour une culture qui
se crée, il est très important d’utiliser
un média qui soit à la fois : reflet des problèmes
politiques, sociaux, économiques (reportages, témoignages)
et objet de symbolisation (formes de représentation
nouvelles). […] On ne voit pas pourquoi la vidéo
échapperait à l’idéologie patriarcale
véhiculée par les autres médias. Les
femmes se heurtent là encore à une mise à
l’écart, à un rôle de muses ou de
collaboratrices subalternes, bénévoles et reconnaissantes.
Les hommes ont fait de la technique un domaine réservé,
conduisant à un langage ésotérique. [33] |
L’objectif
est de produire et diffuser autrement, d’être autonome.
Il s’agit de fournir un autre discours, un autre point de
vue sur des thèmes abordés par les grands médias,
ou bien d’exercer tout simplement son droit de réponse.
Par exemple, le 30 décembre 1975, sur Antenne 2, Bernard
Pivot anime une émission qui s’intitule "L’année
de la femme, ouf…c’est fini !" et invite Françoise
Giroud alors secrétaire d’Etat à la Condition
Féminine. Le sourire aux lèvres et sans beaucoup de
conviction, elle est confrontée à quelques célèbres
misogynes. Nadja Ringart, Ioana Wieder, Carole Roussopoulos et Delphine
Seyrig, des Insoumuses, ulcérées par la bêtise
et le ton de l’émission, autant que par les réactions
antiféministes de Françoise Giroud enregistrent l’émission
et la remontent, l’entrecoupent de panneaux : "Des milliers
des femmes veulent crier…une seule femme a la parole…va
t’elle se relever ?" mais Françoise Giroud ne
s’offusque jamais et trouve même que tel macho a "un
langage d’homme qui aime les femmes", "comme l’homme
qui nous pelote dans le métro, comme l’homme qui nous
viole en banlieue, comme le client des prostituées"
répondent les Insoumuses... Maso et Miso vont en bateau
est un film coup de poing dont l’humour et la justesse en
font un film qui ne vieillit pas. [34]
|
|
|
Images
extraites de Maso et Miso vont en bateau, Les Insoumuses,
1976 |
Les groupes de cinéma
ou de vidéo alternatifs s’engagent sur des thèmes
nouveaux ou délaissés par les médias, comme
l’homosexualité, le viol, pénètrent dans
des endroits semi-interdits : les usines, les institutions, les
prisons, les hôpitaux, les crèches, les écoles…En
1979, la revue CinémAction sort un numéro sur le cinéma
féministe [35]
et propose un catalogue dont la variété
des catégories témoigne de la richesse et la vitalité
de la production féministe parallèle : Corps (avortement,
contraception, plaisir, etc…), Enfants (maternité,
éducation), Travail ménager, Travail à l’extérieur,
Violence (femmes battues, viol, drague), Identité, Portraits
de femmes, Entre femmes, Ici et ailleurs…Quelques titres :
Avortement, ils appellent ça I.V.G de L’Aire
Elles (1979), Y a qu’à pas baiser (1973),
Les prostituées de Lyon parlent (1975) de Vidéo
Out, Scum Manifesto (1976), Accouche ! (1977)
des Insoumuses, Manif homosexuelle ou l’opinion du français
moyen sur la question (1977) du Lézard du Péril
Mauve et La Guerrière Pamplemousse et Ella, une vraie
famille de Michka Gorki (1979) pour Ciné-femmes international,
La lutte des femmes à Lip et ailleurs (1975) d’A.D.P
Liaisons directes, Petites têtes et grandes surfaces
(1974) de Cinélutte, Election de Miss Montpellier
(1978) des Vidéodieuses, Le petit chaperon rouge
(1978) de Vidéodéba…
Les réalisatrices
s’essaient à un nouveau langage, exploitant les
possibilités propres à la vidéo, avec
une certaine audace parfois, remodelant l’espace et
la durée, selon des rythmes et des regards qu’elles
s’approprient. […]. Elles exigent le droit à
disposer librement de leur corps, elles tentent, collectivement
et individuellement, de cerner leur identité, de la
produire à travers leurs propres images. [36] |
|
|
Le plus célèbre
de ces films parallèles est réalisé à
deux mains, par Marielle Issartel et Charles Belmont, c’est
Histoires d’A, qui malgré sa censure en 1973
réussit à être vu par près de deux cents
mille personnes. S’inscrivant au cœur de la lutte pour
l’avortement, les auteur-e-s montrent un avortement réalisé
avec la méthode Karman, loin des clichés sordides
et des préjugés sur les risques encourus. Transgressif,
cru, le film est aussi une réflexion sur la condition des
femmes et leur aliénation, faisant le lien entre la lutte
pour l’avortement et la nécessité d’une
lutte féministe globale.
|
Manifestion du 8
mars 1975 [38] |
Le documentaire
de Coline Serreau, Mais qu’est-ce qu’elles veulent
? est également réalisé marginalement,
la réalisatrice ne trouve aucun financement, jusqu’à
ce qu’Antoinette Fouque qui dirige les éditions Des
Femmes lui donne cent mille francs. Le titre est inspiré
par une banderole de la manifestation féministe du 8 mars
1975 ("Journée de la Femme") et le film est une
somme d’interviews de femmes, de différents milieux
sociaux, qui témoignent de leur quotidien, de leur isolement.
Finalement il sortira en salles grâce au succès de
Pourquoi pas !, en 1978.
Qui, elles
? Les femmes. Le titre, son interrogation légèrement
impatiente traduisent l’agacement d’une majorité
des gens devant les récriminations féminines.
Depuis que les femmes contestent, protestent et manifestent,
on ne sait plus très bien où l’on en est.
[…] Il urge donc de faire le point. Posément.
[…] Coline Serreau offre micro et caméra, elle
donne voix et visage à des obscures, à des ‘‘faibles’’,
à des ordinairement silencieuses. Parce que ce sont
précisément ces femmes-là qui témoignent
le mieux […] de l’oppression dont elles ont souffert
et souffrent, sans jamais se plaindre – puisque c’est
comme ça depuis des siècles. […] Ce sont
tous ces comme ça que Coline Serreau présente
à la queue leu leu. Ils ont tous un dénominateur
commun : ‘‘ Oui papa, oui chéri, oui patron’’.
[39]
|
Ce "c’est comme ça",
les femmes n’en veulent plus. La lutte la plus difficile du
mouvement féministe reste celle de la reconnaissance du viol
comme crime contre les femmes : « Viol de nuit, terre des
hommes », un combat qui touche profondément aux relations
hommes/femmes et qui nécessite un changement considérable
des mentalités.
Quand
on a commencé la campagne contre le viol en 76, c’était
très difficile : tous les jours on était couvertes
d’insultes dans Libération ! […] Le viol
c’était l’expression de la misère
sexuelle des masses…Les masses étant toujours
masculines ! […]. C’est une idée qui était
très sérieusement soutenue à l’époque,
et pas juste par des hommes. Il y avait toute une idée
de la sexualité qui allait d’elle-même.
Pour nous la lutte contre le viol […] débouchait
aussi sur la déconstruction de l’obligation de
l’hétérosexualité. [40] |
|
Manisfestation
contre le viol, 1979 [41] |
Le viol fait partie
de la sexualité des hommes, ou bien des femmes, dans certain
cinéma des hommes, de grands succès, comme Orange
Mécanique, de Stanley Kubrick, en tête du box-office
de l’années 1972 (7,3 millions d’entrées),
Emmanuelle, de Just Jaeckin, qui bat les records en 1974
avec 8,8 millions d’entrées.
Emmanuelle qui représente explicitement des actes
sexuels, des scènes de viols consentants, collectifs, sur
fond d’érotisme exotique pose la question du corps
des femmes dans le cinéma à caractère pornographique.
Ainsi, sur les écrans, le viol attire le public alors que
les féministes essaient de le dénoncer comme atteinte
à leur dignité. Les collectifs Vidéodieuses
(Les femmes la nuit, 1978) ou Vidéo Out (Anne,
Corinne et le viol, 1978) travaillent à donner la parole
aux femmes sur ce sujet sensible et encore tabou.
|
|
Tract
anonyme 1970-1971 et affiche pour les Dix heures contre
le viol à la Mutualité, 1976 [42] |
La vidéo
et le mode de production rapide qu’elle permet, donne des
images aux luttes. Qu’en est-il du cinéma des femmes
?
Le cinéma français traverse une crise économique,
à partir de 1973, qui fragilise les producteurs les plus
à mêmes de soutenir un cinéma ambitieux, la
plupart des réalisatrices doivent créer leur propre
société de production et tenter de financer leur film
grâce aux aides de l’Etat, c’est le cas pour Yannick
Bellon avec Les films de l’Equinoxe. Par ailleurs, les meilleurs
succès commerciaux donnent une idée des films sur
lesquels la profession préfère parier : Les bidasses
en folie (1971 – 7,4 millions d’entrées),
Les aventures de Rabi Jacob (1973 – 7,3 millions
d’entrées), Emmanuelle (1974 – 8,8 millions
d’entrées), La cage aux folles (1978, 5,3
millions d’entrées)…
De ce point de vue, les obstacles que rencontre certaines réalisatrices
sont éclairants : Agnès Varda tourne L’une
chante, l’autre pas en 1976, mais l’origine du
film remonte à 1970 : sa rencontre avec le Women’s
Lib aux Etats-Unis est décisive, elle se documente sur le
féminisme, rencontre des femmes. Après un voyage en
Iran, elle écrit en 1971 la première version d’un
film au titre éloquent Mon corps est à moi, qui mêle
réalité et fiction, autour de trois femmes. L’avance
sur scénario lui est refusée. Elle réécrit
une deuxième version, réduit son budget, se concentre
sur l’amitié de deux personnages féminins. En
1972, elle suit le procès de Bobigny et met au monde son
fils, Mathieu. Durant l’année 1973, elle enquête
sur les femmes, va à Amsterdam, y rencontre des groupes de
femmes, et l’année suivante elle affine son scénario
qui devient L’une chante, l’autre pas. A nouveau
elle reprend la recherche de financements, elle obtient cette fois-ci
une aide du C.N.C mais de nombreux producteurs refusent de croire
à son film. Elle décidera alors contre vents et marées
de le produire elle-même. Michèle Rosier ne trouve
pas non plus de producteur pour Mon cœur est rouge,
elle crée donc elle aussi sa propre société,
Go Films, mais devra attendre plusieurs mois avant de pouvoir sortir
son film en salles.
Retour au
sommaire >>
|